Le 1er novembre dernier, Emmanuel Macron a entamé sa tournée en Asie centrale par le Kazakhstan. L’occasion pour la France de cimenter les bases de plusieurs partenariats stratégiques, avec de nouveaux contrats dans le secteur énergétique en ligne de mire.
« Accélérer le partenariat. » Tel était le mot d’ordre de la délégation française emmenée par le locataire de l’Élysée à Astana, la capitale futuriste du Kazakhstan, le 1er novembre dernier. Avec son homologue kazakh Kassym-Jomart Tokaïev, Emmanuel Macron a joué cartes sur table et a affiché une stratégie volontariste : l’Asie centrale et l’Europe de l’Ouest ont des choses à se dire, et des projets communs à mener à bien. Un message reçu cinq sur cinq par le président Tokaïev : « La France est notre partenaire clé et fiable dans l’Union européenne. »
Première économie d’Asie centrale grâce à un sous-sol riche en ressources naturelles, le Kazakhstan est au carrefour de l’Asie et de l’Europe à l’est et à l’ouest, avec la puissante Russie au nord et le monde musulman sur son flanc sud. Une position stratégique dont le président Tokaïev souhaite faire profiter son pays, dont le PIB annuel par habitant plafonne à 10400 dollars, aux portes du Top50 mondial. L’objectif des deux chefs d’État : cimenter les partenariats actuels – la France est déjà le 5e investisseur étranger au Kazakhstan – et signer de nouveaux contrats pour développer l’économie kazakh, au bénéfice d’entreprises françaises. Avec, en ligne de mire, l’objectif de contrer l’expansion des nouvelles Routes de la soie chinoises grâce au projet européen Global Gateway, dont les cinq pays d’Asie centrale sont des pivots essentiels.
L’énergie avant tout
Entre les deux hommes, les dossiers à aborder étaient nombreux, comme l’extraction minière de terres rares, l’industrie pharmaceutique, l’aéronautique… mais surtout l’énergie. Emmanuel Macron n’est pas arrivé les mains vides à Astana, comme en témoigne la présence des PDG d’EDF (électricité), de Suez (eau) et d’Orano (uranium). Dossier prioritaire pour l’Élysée : placer la candidature d’EDF en haut de la pile pour le contrat de conception et de construction de la future centrale nucléaire kazakh sur le site de Semipalatinsk. La première du pays. À condition que ce projet soit validé lors d’un référendum très attendu d’ici la fin de l’année.
Côté production d’électricité, la France avait aussi d’autres idées à proposer, le Kazakhstan étudiant de près la possibilité de construire une vaste centrale éolienne dans le sud du pays, plusieurs firmes françaises étant dans les starting-blocks. Idem pour des projets de production de gaz destiné à alimenter l’industrie kazakhstanaise, avec entre autres la participation d’Air Liquide.
Mais qui dit partenariat, dit aussi besoins réciproques. Si le Kazakhstan a besoin de l’expertise française en matière nucléaire, il est aussi assis sur une richesse dont la France a besoin pour ses propres centrales : l’uranium. « La France, qui veut renforcer son parc nucléaire, doit combler ce lourd déficit [ndlr : à cause de la fin de l’approvisionnement via le Niger qui comptait pour 20% des ressources utilisées par les réacteurs français], explique Helena Voulkovski, spécialiste en gestion de risque, dans la revue Conflits. Et c’est au Kazakhstan qu’elle vient trouver la solution. Ce pays d’Asie centrale est déjà le premier exportateur d’uranium en France (27%), et possède 12% des ressources planétaires. » Au chapitre de la sécurisation des approvisionnements français, le Kazakhstan possède également des arguments dans le secteur pétrolier. Ce pays d’Asie centrale est le deuxième fournisseur de l’Hexagone, TotalEnergies étant présent à hauteur de 16,81% dans l’accord de partage de la production pétrolière du nord de la mer Caspienne.
Dans son sous-sol, le Kazakhstan regorge également de thorium, élément de substitution pour faire tourner les centrales nucléaires. « Le Kazakhstan a toujours eu une longueur d’avance et a servi de laboratoire d’expérimentation des nouvelles techniques d’exploitation, avance Antoine Mestrallet, économiste et ingénieur géologue chez Schlumberger. Très vite, l’extraction de minerai radioactif a fait partie de son identité et a façonné sa place en Asie centrale. La compréhension des gisements et les diverses méthodes d’extraction ont contribué à l’industrialisation du pays. L’augmentation de la demande met le pays dans une position confortable, mais accentue aussi la concurrence. Le Kazakhstan saura-t-il prendre le virage du thorium ? La découverte des grands espaces décharnés que l’on observe depuis l’avion qui descend vers Chymkent nous permettra sans doute de répondre à ces questions. » Affaire à suivre.
Ces terres rares tant convoitées
Outre la production d’électricité à proprement parler, Emmanuel Macron avait aussi d’autres objectifs dans le secteur des énergies vertes, à commencer par les terres rares dont l’industrie européenne aura besoin dans les années à venir pour assurer ses approvisionnements stratégiques. Ces terres rares – dans le collimateur des Chinois et des Américains également – entrent en effet dans la fabrication des aimants nécessaires aux batteries dont l’industrie automobile en pleine reconversion est friande. Mission accomplie pour Emmanuel Macron, qui avait embarqué avec lui des représentants du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). L’Asie centrale, riche en matériaux critiques pour assurer la transition énergétique européenne, valait donc bien le détour.
Mue par la stratégie verte de l’Union européenne, la France a donc plaidé en faveur du développement des énergies décarbonées. Une stratégie qui elle aussi a rencontré l’adhésion du président Kassym-Jomart Tokaïev : « L’énergie nucléaire représentant 63% du secteur énergétique français, le potentiel de coopération est énorme, souligne le président kazakh. Nos intérêts convergent également lorsqu’il s’agit d’atteindre zéro émission de carbone à l’avenir. Comme la France, le Kazakhstan est un pionnier régional dans ce domaine. » Après l’uranium, terres rares et énergies renouvelables annoncent donc une nouvelle page dans le partenariat stratégique noué entre les deux pays en 2008.
Le Kazakhstan très courtisé
Le voyage d’Emmanuel Macron était donc de la plus haute importance, à la fois pour les industries françaises concernées et pour le développement du Kazakhstan, dont le potentiel reste à exploiter. Mais le chef de l’État le sait, la France et l’Union européenne ne sont pas les seules à courtiser le président Tokaïev. « L’Asie centrale a un intérêt principal qui est son faible coût d’exploitation par rapport à toutes les autres grandes régions uranifères, explique Teva Meyer, maître de conférence en géopolitique et géographie à l’université de Haute-Alsace. Bien évidemment, la France n’est pas la seule intéressée par ces régions. Il lui faut donc continuer à maintenir des partenariats pour s’assurer d’avoir toujours une place importante dans ce pays et ne pas être surpassée par d’autres acteurs. » Car juste après le départ d’Emmanuel Macron pour l’Ouzbekistan voisin, deux autres dirigeants étaient attendus sur le tarmac d’Astana : le Premier ministre hongrois Viktor Orban et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le Kazakhstan ne manque pas de prétendants.