Pour bien des pays du Sud, la transition écologique passe après l’urgence économique et sociale, voire humanitaire. Ce qui n’empêche pas les pays riches de vouloir mettre l’Afrique au pas, en la dissuadant d’exploiter ses ressources naturelles. Des voix s’élèvent pour réclamer une transition effectivement plus juste.
« Aucun pays ne doit avoir à choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète », a lancé Emmanuel Macron en ouverture du « Sommet de Paris », le 22 juin 2023. Accueillant plusieurs chefs d’États et les dirigeants des organisations internationales, ce sommet a permis d’avancer sur la nécessaire réforme du système financier mondial afin de mieux armer les pays du Sud face à la pauvreté et au changement climatique.
Pour les pays du Sud, l’urgence climatique passe après le développement
La lutte pour le climat devient en effet une priorité pour le FMI et la Banque mondiale. Et les pays du Sud craignent que l’urgence climatique décrétée par les pays du Nord capte les financements du développement. « Aucun des pays que je représente ne nie l’importance du réchauffement, mais la transition ne peut se faire aux dépens du développement », a ainsi souligné en avril dernier Abdoul Salam Bello, administrateur de la Banque mondiale représentant 23 pays africains. « Comment pouvez-vous avoir une transformation économique si vous n’avez pas accès aux services de base, tels que l’électricité, ce qui est toujours le cas de 600 millions d’Africains », soit la moitié de la population du continent.
Difficile, en effet, alors que les besoins de base des populations ne sont pas satisfaits, de placer la question écologique au sommet de l’agenda. « Les populations les plus exposées aux déséquilibres environnementaux ne sont pas les plus préoccupées par le futur de la planète, le sort des petits oiseaux et les émissions de gaz à effet de serre », résume Bernard Duterme, coordinateur du livre collectif « L’urgence écologique vue du Sud ». Ces préoccupations apparaissent secondaires quand le « matériel » n’est pas assuré. La sensibilité écologique reste le privilège de ceux qui sont « libérés de l’emprise des carences du quotidien et des urgences vitales ».
Les pays du Sud aspirent d’abord à des « standards de vie décents » concernant leurs besoins en logement, alimentation, habillement, santé, éducation et mobilité. Ainsi pour l’économiste camerounais Thierry Amougou,
« l’urgence écologique est un récit occidentalo-centré », « c’est celle des favorisés et pas de ses premières victimes. Ventre affamé n’a point d’oreilles pour l’écologie ! ». Dès lors, on ne peut pas regarder l’élévation des niveaux de vie des populations asiatiques, africaines et latino-américaines sous le seul angle de leur impact carbone.
L’imposition universelle de nouvelles normes écologiques en provenance du Nord est souvent perçue au Sud comme une forme de « colonialisme écologique » ou d’« impérialisme vert ». Et l’injonction d’abandonner du jour au lendemain les énergies fossiles pour passer au « tout renouvelable » ne paraît pas très réaliste, alors que la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique mondial se maintient autour de 80 %.
Une priorité et un terrain d’entente : sortir du charbon
« L’élimination progressive du charbon du secteur de l’électricité est l’étape la plus importante pour atteindre l’objectif de 1,5 degré », souligne le Secrétaire général de l’ONU António Guterres.
Le charbon est en effet, tout au long de son cycle de vie, une source importante de pollutions, néfastes pour la santé humaine. Les processus d’extraction, de transformation et de transport libèrent des quantités importantes de poussières de charbon, qui polluent l’air et l’eau, entraînant des risques sanitaires. Mais l’étape la plus nocive est sa combustion dans les centrales électriques : « le charbon est la source d’énergie qui émet le plus d’oxydes d’azote, de dioxyde de soufre, de dioxyde de carbone, de métaux lourds et de particules par unité d’énergie », souligne une étude scientifique.
L’inhalation continue de ces substances dangereuses déclenche de nombreuses maladies, notamment respiratoires et cardiovasculaires. Selon une revue de littérature, les émissions de particules des centrales à charbon seraient responsables chaque année de la mort prématurée de 52.000 personnes aux États-Unis, 670.000 en Chine et jusqu’à 115.000 en Inde.
La nocivité en termes de GES est également parfaitement établie puisqu’ « une centrale à gaz émet entre 350 et 400 grammes de CO2 par kWh, là où les centrales à charbon les plus modernes en émettent environ 800 », selon France Stratégie.
Pour de nombreux pays émergents ayant massivement recours au charbon, comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, la conversion du gaz en électricité apparaît ainsi comme un levier essentiel pour accélérer l’électrification, vitale pour le développement et l’éradication de la pauvreté, tout en réduisant les émissions.
Pourtant, plus de 8.500 centrales à charbon sont en activité dans le monde, selon Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie. « Elles produisent plus d’un tiers de l’électricité de la planète et sont à l’origine d’un cinquième des émissions mondiales de gaz à effet de serre, plus que toute autre source d’énergie ».
Ainsi, l’Afrique du Sud, qui fait figure de laboratoire de la transition énergétique des pays émergents, a lancé un plan de 85 milliards d’euros sur cinq ans, qui prévoit la fermeture de neuf des quinze centrales à charbon du pays d’ici à 2035. Dans son mix de transition, l’Afrique du Sud mise sur les énergies renouvelables, mais aussi sur le
gaz et le nucléaire. L’Inde, où le charbon est à l’origine de 73 % de la production d’électricité, s’emploie également à diversifier son mix énergétique, encourageant notamment l’utilisation du gaz naturel pour l’industrie et le transport, tout en assurant un essor significatif des EnR.
La liberté de choisir son chemin et d’exploiter ses ressources
De leur côté, les pays africains revendiquent la liberté de pouvoir exploiter leurs ressources gazières et d’opter pour une transition énergétique leur permettant d’accéder au développement. « Dans la recherche de solutions au réchauffement, il serait injuste qu’on veuille interdire à l’Afrique – qui n’est pas industrialisée et ne fait donc pas partie des gros pollueurs – d’utiliser les ressources naturelles de son sous-sol », souligne Macky Sall, le président du Sénégal. « L’exploitation du gaz, que certains veulent arrêter au motif de lutter contre le réchauffement, est pour nous un facteur de résilience, lorsqu’elle se substitue à la coupe de bois ou au charbon de bois pour la cuisson ou d’autres usages », plaide-t-il également.
Le président du Niger, Mohamed Bazoum, veut aussi conserver la liberté de choisir son chemin pour sortir de la pauvreté. « Comme tous les autres pays pauvres, nous serons opposés à toute politique visant à nous priver du recours des énergies fossiles contenues dans notre sous-sol », a-t-il prévenu au sommet de Paris. « Nous avons en Afrique une population nombreuse et en forte croissance. Nos besoins fondamentaux doivent être satisfaits avant toute décroissance ».
Emmanuel Macron refuse d’ailleurs de se poser en donneur de leçons qui dirait « vous n’avez pas le droit de développer tel projet parce qu’il n’est pas bon pour la planète, alors même qu’en Europe, des pays rouvrent des centrales à charbon. C’est totalement aberrant », reconnaît le président français, qui considère par exemple que l’utilisation par le Sénégal de son gaz comme « énergie de transition » n’est pas incompatible avec la réduction des émissions et « va permettre au pays de se développer ».
Principaux responsables du changement climatique, les pays du Nord sont en effet mal placés pour donner des leçons. Surtout à l’heure où l’Allemagne rouvre des centrales à charbon, où ce combustible fossile représente encore 54 % du mix énergétique de l’Australie, et où les États-Unis viennent d’approuver le projet Willow de forage pétrolier en Alaska. Mais cela n’a pas empêché le Parlement européen de voter en 2022 contre une proposition d’oléoduc reliant l’Ouganda à la Tanzanie. Une parfaite illustration du « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais », qui ne peut que contribuer à accentuer les malentendus entre un Occident perçu comme donneur de leçon, et des pays émergents qui ne comprennent pas que celui-ci veuille les priver des voies de développement qui l’ont conduit à des standards de vie enviés de tous.